Papa diplômé de l'école normale de Tunis , après avoir sillonné la Tunisie du Sud au Nord en passant par les îles...fini par obtenir un poste en Algérie. Après Morris prés de Bône il est nommé en Octobre 1950 à Philippeville à lécole Jules Ferry .
Pour les grandes vacances comme les années précédentes d'ailleurs , nous choisissons de vivre prés de la mer, à Jeanne-d'Arc. Nous louons alors un garage dans une villa. Nous y vivons pour quelques mois en attendant la rentrée scolaire. La villa mitoyenne appartient à des petits cousins , ce qui est bien appréciable. Toute une série de petites maisons de vacances bordent la route du bord de mer, du côté dunes. Nous navons quun garage mais cest presque le paradis. Devant nous, une route sans grande circulation et, du bleu à linfini, frangé dune lisière décume et dun tapis de grains dor impalpables éblouit notre regard. Il y a à côté de notre sommaire demeure, un jardin envahi tout naturellement par le sable mais qui possède un pin maritime aux branches puissantes et basses. Il semble faire corps avec la nature et son tronc épais suit la dune. Papa y a installé une balançoire et je maventure avec délices dans ce jardin de sable vallonné et dans ce nouveau domaine de jeux.
Cest dans ce garage que ma petite sur choisira de faire ses premiers pas, au mois daoût! Cependant,si pour des vacances ce site est paradisiaque il y manque quelques commodités. Ce nest pas une solution durable et il faut trouver un logis un peu plus confortable !
Les instituteurs avaient alors la possibilité de se faire
construire des appartements sur les terrasses des H.B.M., bâtiments se situant devant
lécole de garçons où Papa devait travailler. Avec leurs économies mes
parents décidèrent de soffrir un confortable nid . Si haut perché il aurait
parfaitement convenu à une famille cigogne !
En
1951 nous nous y installons. Quel endroit superbe ! les H.B.M. se trouvent au
début de louverture de notre ville sur la plaine . Nous sommes dans la partie basse
de Philippeville, au plus loin de la mer. De notre appartement nous dominons pourtant une
bonne partie de Philippevile. Trois fenêtres donnent sur la ville et deux autres sur la
caserne Mangin et la Carrière Romaine.Tout en face, la Mosquée et son Muezzin chanteur
,veille sur ses fidèles, et, juste un peu plus haut que notre aire, à
peine sur la droite, se dessine à deux kilomètres à vol doiseau la maison de mes
grands-parents. Pour voir notre Église et plus loin la mer, il faut regarder tout à fait
à notre droite et prendre quelques risques pour se pencher car à notre grand regret nous
ne possédons pas de balcon. Par contre, de la fenêtre de la cuisine, nous pouvons
admirer la porte de notre ville.
Légèrement sur la droite, souvre le faubourg de lEspérance et, un peu
plus à gauche salignent, les allées Barrot bordées de palmiers qui mènent vers
lintérieur des terres, et les deux grandes villes voisines : Bône et
Constantine.
Rue Jugurtha prise du 6° étage des H.B.M. et vue sur les allèes Barrot et la "Carrière Romaine".
A quelques kilomètres des collines sétagent . Ces coteaux cachent la propriété que mes ancêtres ont labourée avec acharnement durant un siècle déjà et où vit seul mon grand-oncle François Deméglio, le frère de ma grand-mère Alphonsine. Il possède une mule et descend en ville une fois par semaine pour y faire quelques échanges. Nous savons quil est là lorsque sa carriole que jappelle avec tout le sérieux du monde «le carrosse », prend place dans la rue Jugurtha que nous surplombons.
Nous habitons au sixième étage si nous venons de la rue de l'Arsenal , entrée principale qui fait face à celle de lécole, mais au huitième étage si nous arrivons de la ville et donc de la Rue Clémenceau. Finalement si devant nous la plaine souvre, derrière il y a bien vite la grimpette ! ... La cour de récréation de lécole Jules Ferry abritée par de nombreux mûriers,se situe dailleurs, déjà au niveau du deuxième étage de notre bâtiment et Maman, de la terrasse qui jouxte notre appartement na aucun mal à dire un petit bonjour à son mari.
Il y a ainsi, quatre appartements «rajouts » du même type que celui où nous demeurons. Quatre bâtiments distincts se trouvent accolés et séparés entre eux par une grande terrasse qui permet le passage de l'un à l'autre..
Sur les corniches une multitude de nids abritent toute une foule doiseaux. En été il nest dailleurs pas rare de retrouver dans la cuisine un martinet. Ce superbe oiseau une fois sur le sol devient tout à fait maladroit. Il se réfugie dans un coin avec déjà beaucoup de mal et ses longues ailes le rendent prisonnier : impossible pour lui de décoller. Ses pépiements aigus, stridents et brefs nous alarment, nous lattrapons et son envol devient une délivrance. Cest un oiseau qui accomplit les vols les plus longs et qui se permet même de dormir en planant. Il arrive à se tenir accroché sur les murs de notre bâtiment, les aspérités du ciment suffisant à ses pattes munies de griffes très préhensiles. Tout ce joli monde s'octroie un espace superbe car nous dominons de toute notre hauteur toute une série de casernes dont lessentiel est composé de cours !
A droite cest la caserne Mangin et devant nous une caserne entrepôt. Nous bénéficions ainsi de journées ponctuées de sonneries au clairon. Au petit matin tout commence avec lappel au réveil :
« Soldat levez-vous, soldat levez-vous bien vite... »,
Un peu plus tard, cest le lever des couleurs, vient
ensuite lheure du rassemblement :
« Rassemblement à la
théorie
.»
Puis, retentit lappel à la boustifaille :
« Cest pas dla soupe
cest du rata »...
Enfin au soir tout se termine par le petit air demandant
lextinction des feux !
Notre vie est ainsi rythmée et parfois quel fou rire à l'écoute d' un répertoire de fausses notes !
En plus de larmée, les pompiers sont aussi à nos pieds puisquils occupent le sous-sol des H.B.M., Pour nous aucun départ au feu ne passe inaperçu ! Notre situation a encore un dernier avantage...une mise en forme garantie pour chaque jour. Dans notre bâtiment, une cage dascenseur avait été prévue mais aucun ascenseur na pu y prendre place faute semble-t-il despace !...
Notre
gymnastique était donc assurée : six étages ( voir huit ) de deux fois douze marches !
... Les escaliers sont majestueux et en marbre blanc, les paliers très
larges donnent sur de vastes baies ouvertes au soleil sur une place elle aussi de marbre.
Le bâtiment le plus proche a quant à lui des marches de marbre rosé. Original
nest-ce pas ? ... Non, pas vraiment car cette pierre était des plus usuelles dans
cette région et Rusicade était déjà une perle étincelante de marbre.
Les carrières se situent au Fil fila et tout simplement à dix-huit kilomètres de
la ville, à proximité de la mer.
Les Romains les exploitaient déjà et des statues de ce marbre ont été retrouvées
dans les sites classés de Timgad, Cirtha (Constantine) en Algérie et même de Carthage
en Tunisie.
Cest une carrière à ciel ouvert couvrant une superficie de mille quatre cents
hectares contenant du marbre de différentes couleurs. Le marbre est identique à celui,
très renommé de Carrare, et on suppose dailleurs que le gisement dItalie
sétend sous la Méditerranée pour arriver jusque là.
Un petit port dénommé Saint Louis (ou Chatelain) avait été même construit pour
embarquer les blocs enlevés à la montagne !
Cette pierre se retrouve sur toutes les places, les allées des jardins, les terrasses ; celle de la maison de mes grands-parents en était couverte...Et mon palet pour jouer à la marelle ? un morceau de marbre rien de comparable pour glisser !
Le soleil et ce marbre étincelant que déclats pour des Habitations Bon Marché!
Me
voici inscrite à lécole maternelle chez les surs. Pour y aller, rien
de plus simple. Il suffit de suivre la rue de l'Arsenal qui borde nos H.B.M. et cela
jusquau bout. Après l'école de garçons le trottoir longe de grands murs qui
abritent encore des casernes. On traverse la rue de France, puis la rue du Maréchal Foch
qui grimpe jusque vers le lycée Luciani et , à droite se trouve l'Arsenal et à
gauche une jolie place parsemée d'arbres sur laquelleest édifiée notre Eglise . En fait
peu d'habitations sont situées là, il y a seulemant à droite,quelques petites
maisons de deux étages juste avant la place . Nous passons ensuite, derrière notre
belle église consacrée à Marie et arrivons sur une rue bordée de palmiers qui mène
sur la droite à l'école de filles Sévigné. Un peu plus bas se trouve une autre école
de filles l'ecole Victor Hugo. Nous continuons tout droit notre chemin. Sur notre droite
c'est
le presbytère où se déroulent les cours de catéchisme et au fond de la rue un
peu avant les escaliers... mon école.
-"A l'école de ma sur Marie.... On entend les
enfants qui crient..
-Voulez-vous vous taire.... Enfants de bonne terre... Taisez-vous, vous aurez deux
sous!"
Lannée suivante à cinq ans je quitte la maternelle.... Enfin, jallais pouvoir vraiment travailler ! ..
Mon parcours reste quasiment le même . Maman m'accompagne souvent , mais je suis aussi très heureuse lorsque de jeunes élèves de Papa jouent les grands frères... Après la place de l'église il faut alors prendre la première rue a droite : l'avenue du 3éme Zouaves ornée de beaux palmiers ,qui monte jusqu'à la place du même nom , et lécole de filles «Sévigné »est là, tout prés sur la gauche.
A l'école de garçons Jules Ferry l'équipe pédagogique comporte des hommes mais aussi quelques femmes; Ici, le personnel enseignant réunit exclusivement un petit groupe féminin. Madame Roy a été ma première maîtresse et sans doute celle qui a su le plus me captiver. Javais une superbe défaut de langue, mais aussi une grande envie dapprendre, aussi je sus très vite lire et écrire. Ensuite, se succédèrent : Madame Danvil, Madame Saragosse, Madame Blanc et pour terminer, Mademoiselle Barbagellatat . Nos têtes brunes, nos robes fleuries et nos rubans colorés donnaient aux grandes salles ensoleillées un air de fête perpétuel. C'était un temps béni où le bonheur ne rimait pas avec marques et logos de qualité...
Mes photos de classe de Sévigné sont visibles sur le site de Suzette . Sites favoris